Eté 2009
vendredi 28 août 2009
Quelques réflexions sur l’été 2009
L.Champenois 10 Août 2009
En cette période estivale il n’est pas mauvais de jeter un regard sur les relations franco- américaines et euro-américaines dont les commémorations de Juin dernier ( celle du débarquement en Normandie , avec la présence de Barack Obama, mais aussi celle de l’Appel du 18 Juin) nous ont rappelé le contexte historique .
Reconnaissons d’abord qu’il est rassurant de voir , à la tête de la plus grande puissance militaire et économique du monde ,un homme qui donne une impression de sang-froid et de maîtrise de lui-même , et qui préfère la négociation et la persuasion à l’unilatéralisme de son prédécesseur. Il appartient bien entendu à nos dirigeants , au niveau français et européen , de mettre à profit cette circonstance favorable pour améliorer la situation du monde , d’autant qu’ Obama a pris sur certaines questions importantes des positions tranchant nettement avec celles du néo-conservatisme américain.
Pour autant ,d’énormes difficultés restent à affronter en commun et rien ne dit que l’harmonie franco-américaine ou euro-américaine aille de soi sur tous les dossiers. Passons-en quelques -uns en revue .
Je mentionne d’abord sans m’y étendre la grande question de la crise économique et de ses suites. On verra si les Etats-Unis entendent bien s’atteler , avec les autres grands partenaires ,à la construction d’un ordre économique mondial véritablement nouveau ,ou s’ils souhaiteront s’en tenir à un simple replâtrage de du système ancien ,lequel, grâce au dollar flottant imposé comme monnaie internationale ,leur octroyait une appréciable facilité : celle de financer leurs déficits, donc leur croissance , aux dépens du monde extérieur. Un nouvel ordre économique impliquera nécessairement un nouvel ordre monétaire international.
Il y aurait beaucoup à dire également sur les problèmes étroitement imbriqués de l’environnement , du réchauffement climatique , de l’énergie et des matières premières . On peut cependant espérer dans ces domaines, chez le nouveau Président des Etats Unis, une plus grande ouverture d’esprit que chez son prédécesseur. Mais tenons-nous en aux principales questions d’actualité en matière de sécurité politique et militaire.
La première est celle de la politique à l’Est de l’Europe et de l’OTAN , deux problèmes étroitement liés puisque l’OTAN avait été créée en 1949 pour faire face à la menace militaire soviétique :à quoi l’Union Soviétique avait répliqué avec le « Pacte de Varsovie » regroupant ses satellites européens (1955).
L’effondrement du « bloc socialiste » en 1990 , inattendu pour beaucoup ,a fait disparaître cette menace.On oublie souvent que les évolutions internes à ce bloc avaient abouti dès 1975 à la signature , par 34 Etats européens et nord-américains du Document Final d’Helsinki , document dont les dispositions préfiguraient la capitulation idéologique future du système soviétique. La CSCE (Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe) , devenue depuis l’OSCE ( Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe ) apparaissait désormais comme le cadre adéquat du dialogue politique au plus haut niveau entre pays de l’Est et de l’Ouest .Mais la dissolution du Pacte de Varsovie posait ipso facto la question de la raison d’être de l’OTAN .
Or depuis cette époque , la politique américaine – particulièrement sous le règne de George Bush Junior ,de 2000 à 2008 – s’est efforcée avec le concours zélé d’un certain « establishment » euro-atlantiste , de vider l’OSCE de son contenu politique en la réduisant au rôle d’agence de recrutement de missions d’observation , et de transférer ce rôle à l’OTAN auquel on conférait par ailleurs une vocation universelle ,tout en entreprenant de l’étendre aux pays du pourtour de l’ex-Union Soviétique.
Du côté européen, l’intégration à l’Union –en soi bien légitime-d’anciens pays du Pacte de Varsovie chez lesquels , pour des raisons historiques compréhensibles , la russophobie tenait souvent lieu de pensée politique , tendait à faire prévaloir une vision de l’Europe déjà plus ou moins partagée par nos amis britanniques : à savoir que l’UE avait essentiellement vocation à être une zone de prospérité économique , mais que sur les questions de politique et de sécurité , l’alignement sur Washington était de rigueur.
Les conséquences en ont été :l’acceptation complaisante de l’installation , en Pologne et en Tchéquie ,d’un système américain de défense antimissile dirigé contre d’éventuels missiles iraniens , les encouragements imprudents donnés aux dirigeants antirusses de pays issus de l’ex-URSS en leur faisant miroiter une adhésion à l’OTAN (Ukraine , Géorgie) .Il fallait être aveugle pour ne pas prévoir de violentes réactions de la Russie , qui a de diverses façons démontré qu’elle avait encore les moyens de déstabiliser l’Est européen, sans compter les pressions qu’elle peut exercer dans le domaine énergétique.
Une politique conforme aux véritables intérêts de l’Europe viserait à assainir les relations avec la Russie et à rechercher un véritable équilibre européen en mettant fin à l’extension à tout va de l’OTAN et en définissant ses missions de manière strictement limitative . Les pays issus de l’ex-URSS ( Ukraine , Géorgie , Arménie , Biélorussie , Moldavie…) auraient vocation à être « neutres et non alignés » au sein d’une OSCE ayant retrouvé son rôle véritable , comme le sont déjà d’ailleurs certains membres de l’Union Européenne non membres de l’OTAN (Irlande , Autriche ,Suède , Finlande).
Il faudrait bien sûr une certaine détermination pour faire progresser cette vision des choses , qui se heurterait à l’opposition aussi bien des tenants de la politique traditionnelle aux Etats-Unis que de la bureaucratie Otanienne en Europe . Elle irait en revanche à la rencontre de récentes propositions russes , que l’on aurait tort de mésestimer , sur une nouvelle architecture de sécurité en Europe .Elle donnerait un sens au retour de la France dans les structures de commandement de l’OTAN.Elle créerait enfin un meilleur climat pour traiter les problèmes du Proche et Moyen Orient .
On voit bien en effet que le problème iranien requiert une action concertée des Européens , des Américains et des Russes .Il est d’ailleurs assez étrange de voir aujourd’hui Barack Obama rester d’une extrême prudence vis-à-vis du régime iranien , alors que les Européens , notamment les Français , ont semblé adopter une politique déclaratoire certes conforme au « politiquement correct » ( ou aux souhaits de tel ou tel groupe de pression ) mais qui , sans faire avancer les affaires ,donne prétexte à un démagogue dangereux comme Ahmadinejad pour crier à l’ingérence étrangère et exercer des représailles sur nos ressortissants. Or il faut se garder de prêter le flanc à de telles accusations dans un pays dont les évolutions internes sont loin d’être terminées.
Sur le fond , on voit mal comment un grand pays comme l’Iran ,entouré de voisins tels que l’Inde , le Pakistan , Israël , tous pourvus d’un armement nucléaire avec la bénédiction tacite de l’Occident ,accepterait d’ëtre le seul à se le voir interdire. La solution ne peut être que dans un désarmement régional ,notamment nucléaire .Elle est bien entendu liée à un règlement acceptable du problème israélo-palestinien , qui depuis des décennies empoisonne la paix dans la région.
C’est là que s’offre aujourd’hui une des meilleures occasions , pour les Européens et les Américains ,de s’entr’aider en vue d’un objectif commun d’importance vitale , d’autant que cet objectif bénéficie aujourd’hui d’un consensus international sans précédent. Tout le monde sait que , malgré la situation créée par Israël sur le terrain , la solution de deux Etats sur la base des lignes de 1967 est la seule envisageable .Tout le monde sait que le redémarrage d’un processus de paix passe par l’arrêt immédiat , total et vérifiable de la colonisation en Cisjordanie. Tout le monde , sauf apparemment le Gouvernement de Mr Netanyahu qui en ce moment cherche à gagner du temps en brandissant l’épouvantail iranien et en posant des préalables inacceptables à la reprise des négociations.
Mais si la société israélienne , engagée depuis 1967 dans une logique de colonisation à outrance ,s’est fourvoyée au point de porter au pouvoir une coalition d’extrémistes incapable d’entreprendre un véritable processus de paix ,c’est aussi qu’elle a été trompée tant par les encouragements de l’Administration Bush que par les signaux de faiblesse venus de Bruxelles et des gouvernements européens paralysés à l’idée d’envisager des pressions réellement efficaces pour amener Israël à modifier réellement sa politique. Or ces moyens existent ,ne serait-ce que par le biais de la suspension de l’Accord de coopération UE /Israël qui octroie à ce dernier des avantages considérables en matière commerciale et technologique. C’est une affaire de volonté politique , mais celle-ci a jusqu’à présent fait défaut ;
Peut-on s’étonner ,incidemment , que beaucoup d’Européens se désintéressent de l’Europe lorsque celle-ci , dans de telles occasions , fait la preuve de son inconsistance et de sa vulnérabilité aux groupes de pression ?
L.Champenois